Le bar de la Tour, épisode 4
(Bonjour les petits potes, ici Marine. Ça y est on est dans le dur de l'été, j'espère que tout se passe bien pour vous. Plein de bisous)
Le bar de la Tour est un roman feuilleton estival publié tous les lundis : le début est ici
Le dernier épisode se trouve ici
Et puis il a fallu monter dans un bus, direction l’arrière-pays, pour rentrer chez ses parents. Finies les nuits passées à compter les lumières de la Baie des Anges, au revoir les conduites bourrines de ma cousine en Fiat 500 en écoutant les premiers albums de Placebo, bye les piscines avec vue sur la mer. Il était temps de faire son retour chez Papa et Maman.
Je retournais dans mon bled. Peu de loisirs, à part chercher un peu de joie de vivre dans le Village-vacances, et regarder les gens arriver, sympathiser avec eux et puis les voir partir. Je ne pouvais de toute façon rien faire d’autre de mon été. Je n’avais toujours pas l’âge légal pour travailler, ni pour partir solo en vacances. Et tandis que j’imaginais mes cousines en train de préparer leurs bagages pour des nuits blanches au festival de Benicassim, j’étais de retour dans le silence de la campagne, à gueuler contre les cigales et à gratter des bancos au seul bar de mon village, en espérant que quelqu’un veuille bien me sortir de mon ennui. Et pour ça, je comptais évidemment bien sur Gaëtan et Abdel. Mais j’avais un souci.
A l’époque, et c’est surement encore un peu le cas comme toute meuf qui évolue dans nos sociétés de merde, j’étais comme le dit Lorde dans ce remix EXCELLENT pour Charli XCX, en guerre avec mon corps.
Pas de soucis pour aller à la mer ou à la pistoche. Mais par contre, pour que je me baigne, tout le monde pouvait bien aller se faire cuire le derrière par le soleil de Méditerranée. Je restais donc en t-shirt et pantalon de survet le cul sur une serviette, à regarder les gens s’amuser, en espérant qu’un jour, j’aurais ce que je considérais être un corps assez ok pour faire la maline, et me dorer la pilule, les orteils manucurés dans l’eau. Difficile pour moi d’aller donc me baigner à la piscine du Village-vacances comme si de rien n’était. Avec mes 15 ans, mes kilos en trop et la confiance en moi d’un encarté au MODEM, ce n’était pas là que j’allais pouvoir me faire remarquer par ces deux types, gaulés comme des dieux grecs, qui profitaient de leurs pauses à faire des bombes et des allers retours dans l’eau turquoise.
Ce sont donc mes parents qui ont joué le rôle d’entremetteurs sans le savoir. Mon père avait pris des places pour aller voir Lionel Riche au très chic Sporting de Monaco, avec ma mère. Il savait à quel point elle l’aimait et puis bordel, qui n’irait pas voir le type qui a pondu ce tube ?
Avec ma soeur, on n’a pas été invitées. Pas de soucis. Par contre, il fallait qu’on s’occupe de nous et qu’on s’assure de nous garder saines et sauves. Mon daron avait tranché : on allait donc diner au Village-vacances, et ensuite, il fallait nous redescendre chez nous, un peu plus bas dans la vallée. Mais 15 minutes de marche dans la nuit silencieuse, pour deux gamines de 15 et 7 ans, ça faisait un bon début d’épisode pour Christophe Hondelatte et sa veste en cuir.
C’est là que Gaëtan et Abdel se sont proposés de nous raccompagner.
ALLO
JE VAIS ÊTRE RACCOMPAGNÉE CHEZ MOI
COMME À L’AMÉRICAINE GENRE YA DES GENS QUI SE PRÉOCCUPENT DE MA SÉCURITÉ ET QUI VEULENT PAS QU’IL M’ARRIVE DES TRUCS
NON MAIS C’EST SUPER OKAY PAS DE SOUCIS
MA SOEUR EST AUSSI OBLIGÉE D’ÊTRE LÀ ?
NON NON JE DEMANDE C’EST TOUT
OKAY OUAIS JE M’EN OCCUPE AUSSI
Il y a plein de fois dans ma vie où j’ai tenté d’avoir l’air cool. Quand on m’a fait mixer après Chloé sur une des scènes de Rock en Seine, quand on m’a fait intervenir pour des docus pour Arte, quand on m’envoyait interviewer de grosses reusta avec mon anglais de CE2. Pourtant, dans aucune de ses situations, je me suis sentie aussi stressée que lors de la préparation de ces 15 minutes à relier le Village-vacances à la maison familiale.
Déjà, il fallait les bonnes sapes, il fallait pas que je me tâche, pas que je sente la transpi, il fallait pas que ma soeur raconte des conneries ou m’insulte, il fallait que je sois drôle mais pas Patrick Sébastien, il fallait que je sois intéressante mais pas Jamy Gourmaud, il fallait pas que j’ai une diarrhée verbale mais pas que je sois silencieuse non plus, et pas trop familière, on n’avait pas non plus élevé les cochons ensemble. Ok. Et fallait que je respire aussi, un peu.
A la fin de leurs services, ils sont venus nous chercher, beaux comme des coeurs. J’avais l’impression qu’on était des meufs importantes, genre les Destiny’s Child, et qu’on devait être escortées. Le coeur battant, j’ai levé le menton, et pris la route en lançant ma grande campagne 2002, “Elle a beau être la fille du patron elle est cool”.
Déjà, j’ai marché lentement. C’est important. Après, j’ai remercié le fait qu’on se déplaçait dans la nuit et que donc, ça reléguait mes boutons dans les tréfonds de l’obscurité. Et puis j’ai lancé le fameux Marine show. J’ai fait des blagues, j’ai ri aux leurs, j’ai joué la meuf chill, j’ai surement touché mes cheveux plus d’une centaine de fois mais dans la nuit ça se voyait pas. Ma soeur a assuré et a rien dit pour me foutre la honte. Tout se passait comme dans mes rêves. Je me suis aperçue qu’ils étaient gentils et drôles en plus d’être beaux. Qu’ils étaient bien dans leurs pompes, et qu’ils n’avaient rien à prouver. Et surtout, qu’on se marrait.
Les quinze minutes ont été évidemment bien trop courtes. Ils nous ont lâché devant la maison, et nous nous sommes promis de nouvelles aventures estivales. J’ai pu respirer normalement, relacher mon bide et refaire des blagues chiantes à ma soeur. J’étais sur un petit nuage et plus rien n’avait d’importance : les 15 minutes de marche avaient dans ma tête la dimension d’un épisode cliffhanger de Dawson qui se terminait par une voix off disant “c’est à ce moment-là que tout a changé”.
Et tandis que ma soeur partait se coucher, un peu forcée par votre dévouée. je me suis dit, quand même,
Merci beaucoup Lionel Richie.
C’est le début du reste de ma vie.
Trop cool, Marine. Toujours un plaisir de te lire. ! Avec l'option bande son pour accompagner la lecture, c'est top. Hâte de lire la suite !
J'ai enquillé les 4 épisodes, cul sec. Et j'aurais pu continuer toute la journée... C'est génial ! Trop hâte de lire la suite (sans pression hein)