Le bar de la Tour, épisode 1
Bonjour ! C’est le premier épisode du Bar de la Tour, votre roman-feuilleton de l’été ! J’espère qu’il vous plaira. Lâchez vos coms comme disent les jeunes.
Quand on était face à l'accueil, il fallait traverser un couloir assez mal éclairé, dépasser la salle de billard et prendre l'escalier en colimaçon. Arrivé en bas des marches, on tournait rapidement à droite, là où se trouvait une petite alcôve. Le bar du village-vacances se cachait à cet endroit. Je crois être encore capable de me rappeler de tous les détails, l’odeur un peu chaude de la vaisselle et celles des fleurs séchées. Les murs d'un jaune intense, censés rappeler la Provence, un sol réalisé en tomettes, forcément imparfait, de petites tables en acier d'un autre jaune un peu plus pâle qui faisait un bruit incroyable quand on les déplaçait, sans oublier le petit bar aux portes battantes, elles aussi de ce jaune vaillant et infernal.
Il faisait toujours trop chaud derrière le comptoir. La machine à glaçons, mal entretenue, lâchait à chaque saison, sans oublier les portes vitrées qui entouraient l’endroit, faisaient résonner le soleil et fermaient mal. Un sauna. Mais un sauna dans lequel je me sentais vraiment chez moi.
Je n’y suis pas retournée depuis une dizaine d’années, je suppose que tout a changé et a muté dans ce beige dégueulasse qu’adore l’hoôellerie avec des tableaux chiants. Ce tout petit bar doit dorénavant servir des café réalisés par des saisonniers qui enchainent les capsules Nespresso et des kirs Cassis à des connards en short et polo qui souhaitent avoir l’air distingués.
Dans ce petit coin, non loin de Grasse, j’ai passé tous les étés de mon adolescence, et par extension, mes meilleures années. Je passais à blinde des morceaux d’Antoine de Clamaran et de rock japonais (LV3 japonais, obligé) quand mes parents (et les clients) avaient le dos tourné.
J’essayais de pas rater Sous le Soleil avant mon service, que je regardais dans la salle télévision, près du billard, les rideaux fermés et le son à blinde, évidemment noyé sous les cymbalisations des cigales.
De 18 heures à deux heures du matin tout l’été, je servais de mes 16 à mes 21 ans des Coronas aux serveurs qui souhaitaient souffler avant de rejoindre leur famille (ou de se mettre une caisse à Juan Les Pans) ou des Monaco à des pères de famille désabusés de devoir passer du temps avec leur famille. Mais surtout, avant que j’en devienne la barmaid officielle, après avoir supplié ma mère de m’employer pour l’été, je tombais amoureuse de chaque type que mes parents engageaient de début juin à fin aout et que je retrouvais derrière le comptoir.
Parce que c’était eux,
Parce que c’était moi.
Le premier que j’ai regardé avec des yeux en forme de coeur ? Il s’appelait Simon (le nom a été changé parce que bon je l’ai retrouvé sur Facebook et personne mérite de se faire afficher dans ma newsletter, sauf le gars qui m’a demandé de pas être affiché dans ma newsletter. Ismaël j’espère que tu vas bien en tout cas et que t’as trouvé quelqu’un qui voulait bien coucher avec toi).
C’était l’été 2001, il mettait constamment ses oakley dans les cheveux et il avait un dragon sur l’épaule, qui avait bavé depuis quelques années. Il portait des t-shirts dans manches et fumait des Malboros comme un dératé. Il s’était déjà battu et avait mixé avec Laurent Garnier. Il parait qu’il avait essayé toutes les drogues. Une sorte de bad boy en repentance super gentil. Je l’adorais.
Simon avait 26 ans et j’en avais 14, presque 15. Il ne ressemblait pas du tout aux photos de Bixente Lizararu et David Boreanaz que je gardais amoureusement dans mon agenda du collège.
Il était un plus petit que moi, pas du tout gaulé. Ses cheveux bouclaient mollement. Ses dents de devant se chevauchaient et il mettait aussi des polos. Dur. Cela ne m’a pas empêché dès que j’avais cinq minutes dans mon planning ultra chargée d’adolescente en vacances de m’installer face à lui sur un tabouret de bar pour le regarder avec des yeux de merlan frits. Je lui tenais le bout de gras alors qu’il ne souhaitait, à mon avis, que choper des minettes qui venaient en vacances, et qui elles, avaient l’âge légal. Ce n’était pas mon problème : elles n’avaient qu’à s’imposer. Quant à moi, j’imaginais le moment où il ne me verrait plus comme sa “petite soeur”, technique en forme de bâton mental qu’il avait choisi pour que je ne tente rien, et qui avait évidemment fonctionné.
Ce moment, vous vous en doutez, n’est jamais arrivé.
Quand il était en congés, je comptais, pour tenir, que dans 4 ans, bah j’en aurais 19 et lui 30. Une différence d’âge comme celle-ci ne choquerait plus : on était en 2001 hein, je me rendais pas compte que ça aurait encore fait de lui un gros creepos.
Chaque journée loin de lui était un déchirement. Je suis partie une semaine en vacances en Corse avec ma meilleure amie et je ne pensais pourtant qu’à lui. Je crois même que j’ai pleuré de joie quand il m’a demandé au milieu du séjour si je m’éclatais. BORDEL SIMON, OUI, MAIS TU ES SI LOIN, JE COMPTE LES JOURS AVANT DE TE REVOIR. En vrai, j’aurais pu crever sur les plages de Sagone, comblée de cette petite attention. J’avais mis deux heures à faire un brouillon de sms avec ma BFF pour finalement lui envoyer comme si j’avais pas le time. Quelle grosse mytho. J’aurais refait la Méditerranée à la nage, Simon. Pour un seul signe. A. LA. NAGE.
Mais comme tout ce qui est chouette, beau et pur, l’été 2001 s’est terminé. Simon est retourné à Lille lors d’un weekend de fin aout, et j’ai erré dans le petit bar de la Tour en pleurant à chaudes larmes avant ma première rentrée au lycée. Une petite période de recueillement était nécessaire pour moi qui était tombé follement de ce type juste parce qu’il avait été gentil, qu’il était derrière un bar et qu’il m’avait considéré comme une personne. Cela ne m’a pas empêché de le harceler de textos alors que lui me répondait dans les 4 jours ouvrés : malin, le Simon, et encore aujourd’hui, merci de pas avoir été un gros dégueulasse.
J’aurais adoré garder quelque chose de lui, un souvenir. Ce fut la compilation volume 2 de Radio FG qu’il avait oublié que j’ai retrouvé près de la chaine hi-fi. J’y ai vu évidemment un signe du destin. J’ai poncé le CD toute l’année d’après dans ma chambre d’internat alors que Pauline souhaitait écouter pépax son disque de Sublime. Là, encore une fois, ce n’était pas mon problème. J’ai retrouvé la plupart des titres et j’en ai fait une playlist
que je me repasse quand il commence à faire des températures similaires à cet été précisément, et que je me perdais dans les yeux de Simon, qui me racontait son passé de DJ, ces soirées à mixer et comment il fallait amener le saxo dans les morceaux d’électro. Sirotant ma canette de coca light dans lequel j’avais planté une paille, la tête soutenue par mes deux petites mimines qui n’avaient jamais travaillé, j’imaginais à quel point on pourrait se retrouver dans quelques années sur une plage à Ibiza au son des meilleurs morceaux de French Touch et se rouler des grosses pelles comme dans le clip de Demon.
Mon projet ? Le temps qu’on se retrouve, j’allais devenir une vraie meuf de l’électro et avais demandé à mon père de m’installer les platines de ses anciennes discothèques pour apprendre à mixer.
J’y ai jamais touché.
J’étais trop occupée à aimer, voyez ? Parce qu’ensuite, il y a eu Gaëtan. Dont le prénom a été aussi changé.
Mais ça, je vais bientôt vous en parler.
Très accrocheur ce premier épisode. On sentirait presque les odeurs sortir de ton texte tellement il pue le vécu. La question est peut-être idiote mais est-ce complètement autobiographique ?
On adooooooore les love story adolescentes a sens unique, a base de texto 100 fois réécrit et de nombres de signes limités. Merci c'est joie le lundi matin!