TW : Si le deuil c’est pas facile pour toi, je te conseille de passer ton chemin et on se revoit la semaine prochaine, j’aurais de nouvelles bêtises à te raconter beaucoup plus rigolotes, toi-même tu sais. Bisous.
Déstabilisée par une envie de vomir j'ai quitté ce soir le travail un peu plus tôt. Sans savoir l'expliquer beaucoup d’émotions ressortent et je n'arrive pas à me calmer. Je suis énervée. Triste et énervée. Mon appli me dit que je ne suis pas en SPM alors je cherche ce qui peut me souler.
Pour dire vrai, je ne sais pas. C’est tout, c’est comme ça.
Dans un grand ras-le-bol, les larmes finissent par me monter aux yeux et je chiale franchement sur un bout du trottoir, métro Grands Boulevards. Comme je suis un peu con je remarque que les lumières de Noël se reflètent et quand je regarde à travers, c’est joli. Surtout la nuit comme ça en décembre à Paris.
J’aime bien pleurer dans la capitale en marchant. Tout le monde s’en fout, c'est rassurant. Je continue d’errer avec, sur mon épaule, un sac avec trois putains de colis Vinted à déposer dans trois putains d'endroits différents. C’est lourd comme dans ma poitrine, et pourtant dans ma poitrine, il n’y a plus rien du tout.
Juste un trou noir qui peut rendre fou.
Tout à coup je fais les calculs. Dans dix jours c’est Noël et dans sept, cela fera quatre ans que ma mère est partie. C’est beaucoup et en même temps c’est rien du tout. Je ne digère pas, je ne digèrerais jamais. Moi qui ne comprenait pas adolescente Le Livre de Ma Mère d’Albert Cohen aujourd’hui il résonne. A 15 ans, quand même, j’étais déjà drôlement conne.
Lisez Albert Cohen. Vraiment. C’est important.
Belle du Seigneur pour l’amour, Le Livre de Ma Mère pour la mort.
En 2019 quand j’ai perdu ma mère, la psy me disait de matérialiser le deuil comme un petit bagage que tu portes toute ta vie. Au début je me suis dit belle métaphore, et en fait, je dois avouer, je ne suis pas d’accord.
Le deuil ce n'est pas rien. C'est tout. C’est de l’antimatière, personne ne sait le poids que ça fait. Ça absorbe les alentours et les dissout pour ne laisser qu’une masse noire informe incontrôlable. Des fois ça grossit et tu sais pas pourquoi, des fois - mais pas longtemps - tu oublies que c’est là.
Mais t’inquiète, ça reviendra.
Perdre un proche ça laisse des traumas à vie, ça fait sortir du métro quand on reconnait le parfum qu’on lui mettait à la clinique, ça provoque un arrêt de la respiration quand on croise quelqu’un avec la même silhouette, la même couleur de cheveux orange flamboyant. Ça ne te donne pas envie de sortir de chez toi le jour de son anniversaire et puis surtout pour la Fête des Mères. Tu vois dans tes tantes un peu d’elle par moments. Ça te donne envie de l'appeler à chaque moment important. Tu te rappelles que ça sonnera dans le vide, évidemment. Tu ne nommeras plus jamais quelqu’un maman.
Et que plus personne ne t'aimera comme ça, inconditionnellement.
Ça aussi ça rend aigrie.
Mais tu le sais ça aussi.
Depuis un an tu ne fais pas qu’envoyer des putains de colis. Tu essaies, armée de Prozac, de ne pas ressasser les derniers mois de sa vie dans ce putain de lit. Tu te raccroches aux jolis souvenirs et à tout ce qu'elle était, tout ce qu’elle t'a appris. A quel point c'était quelqu'un qui t'a tant donné et souvent tu ne sais pas si tu l'as assez noté ou remercié. Du coup ça nique tout le travail réalisé précédemment et ça te fait pleurer.
Souvent t'es con. Mais bon, on ne te l’apprend pas, tu le sais.
Le temps passe. Les années s’additionnent et évidemment, le deuil s'adoucit. Il y a quelqu'un qui passe Robyn en soirée, on vient te chercher pour danser les yeux fermés. Tu te réveilles dans le bras de quelqu'un alors que le soleil frappe sur ta baie vitrée. Parler à ton entourage, des gens géniaux qui sont là pour te rappeler que la vie c'est important. Elle ne sera plus pareille par contre. C'est tout, c’est comme ça. C’est différent.
Quatre ans c'est rien et pourtant c’est beaucoup. D'amour, de musique, de larmes, de changements : de boulot, un permis, de nouveaux amis, le confinement. Il n'y a plus ta mère par contre. Comme dans ce texte, ça revient souvent.
Mais tu vas pas te laisser aller.
Alors ça les petits potes, nan.
Devant le dernier Mondial Relay tu souffles un bon coup, et puis tant pis. Les larmes tu les essuies, tu as déposé chaque colis, tu dis à ta sœur que ça va aller, merci d'avoir appelé, c'est gentil. Tu te répètes qu'il y aussi plein de choses dans tes projets à cocher : tomber amoureuse, avoir un bébé, voir Los Angeles, boire des cocktails, sortir un livre, fermer des gueules, faire la fête, voir tes amis, passer du temps avec ta famille, devenir un concombre, te prendre la tête,
Et faire tout ça pour toi mais aussi en hommage à cette personne qui a fait tant pour que tu sois là, maintenant,
(Oui roooh je ne t'oublie pas Papa Normand)
Je t'aime fort fort fort fort et ce soir, comme presque tous les soirs,
Je penserai à toi maman.
Sacrée poussière dans l'œil (pratique au boulot) (j'ai pas écouté le tw mais j'ai bien fait)