L'enfer, c'est (pour) les autres
Mercredi, 13h20, je suis descendue du train comme d'autres entrent en guerre.
Petit mot de Tata Riri : déjà Joyeux Noël, j’espère que tout s’est bien passé et que vous avez eu de la buche. Je vous aime fort, et on commence cette newsletter en écoutant ce petit tube de winner)
Tout n’est qu’une question de minutes, que dis-je, de secondes, en atterrissant sur le quai de la Gare de Cannes. Il faut courir afin que mon chien ne vide pas sa vessie sur le carrelage de la SNCF au milieu des touristes. Il faut aussi taper son meilleur sprint pour repérer le camping-car de mon père. Il est garé en double file devant la gare et menace déjà de se barrer. Papa Normand, comme certains lecteurs le savent, a en effet une patience équivalente à la décence d’Emmanuel Macron depuis le début de son premier mandat : moins que zéro (pour continuer à citer Bret Easton Ellis). Il gueule qu’il est mal garé, qu’il ne sait pas où est ma soeur, où mon chien va pisser, et qu’avec toutes ses conneries (= notre arrivée), il ne sait pas si il arrivera à temps pour son concert.
Cool cool cool. Moi aussi je suis contente de te voir.
Je respire comme on me l’a appris à la salle, je lève le torse, et prends sur moi. Si cette saison de Noël chez Papa Normand peut se comparer à la première saison de Loft Story, il est hors de question que j’en sois le David (comprendra qui pourra) et abandonne dès le départ. J’ai encore des choses à prouver, notamment à mon père, en tant que meuf célibataire de 37 ans. Je peux y arriver, tenir le coup et, en ces derniers jours de fin d’année, calquer mon caractère sur celui des dindes imperturbables jouées par des actrices sur le retour des téléfilms de Noël : responsables, zen, et positives. Elles ne semblent s’énerver que de la cuisson de leurs sablés au beurre de cacahuètes et du fait que leur amour de jeunesse ne souhaite pas tout planter pour se lancer dans le commerce de petits chalets miniatures.
C’EST UNE MAUVAISE IDÉE SHAUNA MAIS VAS Y FORCE-LE À QUITTER SON BOULOT POUR FAIRE DES TAUDIS EN ALLUMETTES MÊME MOI JE SAIS QUE C’EST UNE MAUVAISE IDÉE ET JE ME SUIS FAITE PIERCER LE NOMBRIL A 30 ANS
Avant de commencer Concombre, je dois avouer que j’aimais bien mon aigreur. On n’est pas mal à avoir ça dans la famille, c’était dans le package de départ, comme être BG, avoir les yeux bleus, et la carrure d’une armoire alsacienne. Elle fait partie de moi, un peu comme la Véronique de Davina.
Elle a permis à ma daronne d’avoir un humour bien acidulé et à mon daron de pas se faire bouffer. Résultat, je peux me prendre les pires coups dans les tibias (à 45 degrés derrière le genou comme me l’a appris A.) de la part de l’amour, du capitalisme, et de la vie, rien ne m’atteint. Mes parents me l’ont appris : on n’est jamais déçue quand on est aigrie :
TOUT
EST
DÉJÀ
NUL.
Alors quand chez moi on reçoit une bonne nouvelle, cette dernière tient forcément du miracle, un peu comme le petit Jésus, ou le visage et les seins qui tiennent tous seuls de Demi Moore encore en 2023.
Mais quel est le sortilège Demi je veux vieillir comme toi
L’aigreur m’a aussi fait le cadeau d’un don similaire à celui des soeurs Halliwell : j’ai une répartie quasi-imparable et le don de scanner très vite les insécurités de mes interlocuteurs pour pouvoir leur frotter au visage à la moindre de leurs incartades. Chose que je ne fais évidemment qu’en cas de force majeure, et que je m’interdis d’utiliser sur ma famille (on ne peut évidemment pas pratiquer sur les gens qui ont les mêmes dons que soi), mes proches, les clients de ma boite ou les hommes dont j’essaie de choper le 06.
Ça fait peur dit comme ça, et on peut évidemment balancer les miennes sur la place publique. Bien sur que l’aigreur fait de moi un vieux pruneau aux yeux d’un bleu presque transparent comme dirait Murakami (et oui je me jette des fleurs les petits potes : qui le fera à ma place ? j’espère secrètement Antoine Goretti mais bon).
Que c’est une cape dans laquelle je me roule, tout comme les générations de femmes avant moi, pour éviter toute souffrance. Que ça permet de tenir les gens à une large distance pour ne pas être touchée, voire bouleversée par une quelconque relation qui pourrait me mettre en situation de vulnérabilité.
Et vous auriez totalement raison.
Mais l’aigreur c’est sympa quand c’est que pour soi.
Et en ce jour de Noël, je dois avouer que le bilan de ces dernières années n’est pas que glorieux. Bien sur, ça m’a permis de tenir debout après des giboulées de merde, mais à quel prix pour les gens qui me côtoient. J’ai été odieuse, envoyé chier, parfois de manière véhémente, refusé l’aide de personnes, je suis restée seule, je n’ai montré aucune vulnérabilité, été un boulet, une espèce de Debbie Downer d’un quotidien qui n’en a pas besoin.
Et dans ma famille, c’est pas de ça dont on avait besoin.
A tous les gens qui me connaissent mais qui ne partagent pas le même ADN que moi, j’aimerai d’abord m’excuser d’avoir teinté votre quotidien de dégradés de beige et de gris. Ce sont des couleurs à chier. (Cela ne m’empêche néanmoins pas de souhaiter à tous les gens qui n’ont fait aucun effort et qui m’ont laissé tomber d’aller bien se faire cuire le cul. )
Comme dirait Céline, on ne change pas, même si j’y crois
Je promets aussi à ceux qui sont encore là, celles et ceux qui tiennent encore le choc - ou qui m’ont aussi remis à ma place - de faire un effort. Oui, en 2024, j’y crois, le verre peut être à moitié plein, ce type a peut-être de bonnes intentions, et demain sera un nouveau jour où tout ira bien.
On m’a toujours dit que j’étais un petit orage, et que les gens comme moi ne pouvaient pas changer. Ce “on” qui m’a d’ailleurs planté quand j’étais au fond du trou. Vous savez quoi ? Nique. Je vais devenir un petit soleil juste pour vous faire chier. Un concombre, mais un concombre avec un petit goût acidulé.
Je ne vais donc pas tout de suite engueuler Papa Normand qui me hurle dessus pour savoir si mon chien va probablement pisser dans son camping-car. Ni me plaindre que c’est une période de merde et que retourner chez ses parents c’est comme réavoir 14 ans mais avec un pouvoir d’achat. En cette période de Noël, je vais essayer de réécrire les traumas de cette famille qui mérite beaucoup mieux que ça. Pas devenir quelqu’un d’autre. Juste explorer le reste. Si le pire peut arriver, dans la même logique, le meilleur aussi peut se pointer ?
Je respire, je vais être Shauna, tout va rouler.
Sur le parking de la gare, j’ouvre un tupperware qui trainait dans mon sac.
Papa, tout va bien se passer.
Tu veux un sablé ?
La cuisson a un peu raté.