Le type aux cheveux de cire
Il est 2h00 du matin, j'ai encore des confettis coincés entre les seins.
Désenchantée de Mylène Farmer est passé, j'ai dansé non loin de Lady Di et parlé au Pont des Arts, qui était vraiment super sympa. Édith Piaf est entrée de manière remarquable, le sourcil bien haut et les bras en croix, tandis qu’Amélie a déboulé, valsant avec Anne Hidalgo sur ce morceau dorénavant imbitable de Yann Tiersen.
Si je l'écoute encore une fois je m'auto-étrangle avec l'écharpe mohair madras colorée que vous portez toutes cet hiver.
Mes escarpins me font mal et E. est occupée à mettre du sucre glace sous les narines de tous les invités : elle est déguisée en dealer d’un tiers lieu ouvert jusqu’à huit heures aux portes de Paris. Y avec sa tenue noire et ses bijoux en argent m'ont rappelé - en m'ouvrant la porte sous les ovations des vendeurs de cigarettes à la sauvette d'Aubervilliers (j'ai traversé la ville à moitié à poil et le menton levé, toi-même tu sais) - les sombres beaux gosses fans de NIN dont je tombais amoureuse au lycée.
Je ne tiens plus comme avant les grosses fêtes. Discrètement, en évitant tous les gens gentils mais bourrés qui se frottent à moi sur du Omar Souleyman, je pars poser tranquillement mon derrière de Paris Hilton sur le tas de manteaux présent dans la chambre du fond. En haut de la pile trône fièrement le costume de punaise de lit finement réalisé de la colocataire de L.
Ça lui allait à ravir.
J., puis M. me rejoignent. On parle, à l’abri de la musique qui tabasse et des gens qui se roulent des pelles, d'amour, de famille, et comment l'année prochaine je m’organise pour fêter le solstice d'hiver (la YULE, meilleur nom) plutôt que de refaire Noël avec mon daron,
quand arrive ce type.
Il n’est pas très grand, ses cheveux mi-longs sont gominés au pento et il porte une grosse moustache. Sur son nez imposant, des lunettes colorées siglées et sur ses épaules, une fourrure un peu pelée qui va plutôt bien avec le personnage. Il a l'air d’un dealer du Palace, le genre de type qui se baladait avec un couteau papillon en 1982 et avec à son bras une meuf méga bonne qui ne parlait pas parce que trop cocaïnée.
Il a l’air aussi défoncé, et nous demande si il peut s'asseoir.
Je n'ai pas fini de raconter comment j'échangerais bien Papa Normand contre n’importe quel enjoliveur de Twingo mais oui, avec plaisir. C’est le nouvel an et j’ai décidé d’être moins aigrie et on sait tous pourquoi.
Je lui demande en quoi il est déguisé, “Paris est une fête” comme le dit le thème de cette soirée, certes, mais quel est son costume à lui ? Il n’a rien à me répondre. Ce sont ses vêtements de tous les jours, me balance-t-il froidement en fixant ses pieds. Je devrais avoir honte d’avoir posé la question mais j’ai trois coupes de Champagne dans le nez alors je rebondis. C’est vrai, qui n’a pas envie de ressembler à un malfrat new-yorkais sorti tout droit de The Deuce ? (Superbe série d’ailleurs, n’hésitez pas à la regarder, ya deux fois James Franco, donc deux fois de trop, mais c’est quand même génial)
Peut-être souhaite-t-il qu’on parte pour qu’il puisse taper un rail sur le bureau, peut-être cherchait-il juste à s’asseoir. Ou peut-être est-il à la recherche de compagnie. Il y a un petit flottement vite interrompu par les blagues de malaise, ces phrases pas drôles qu’on enchaine quand on ne sait pas quoi faire de tout ce silence. De quoi parle-t-on avec quelqu’un qu’on ne connait pas ? Son genou touche le mien, et dans cette proximité qui ne me ressemble pas, je lui demande comment ça va, en m’attendant à l’un des nombreux jeux de mots foireux que nous nous sommes échangés alors qu’il pénétrait dans la chambre.
Bizarrement sa voix se pose. Et d’un coup, ce gars dont je ne me rappelle pas le prénom s’ouvre comme une rose sombre face aux premiers rayons du soleil. Il remonte la pente, nous raconte-t-il. Il a perdu son père récemment, et subitement. Nous essayons de répondre par des mots gentils, mais ce n’est pas une conversation. Il a besoin de vider son sac et part à toute allure dans un monologue à contresens de la bamboche. Il évoque sa mère un peu déboussolée, l’enterrement, son travail qu’il a aussi quitté il n’y a pas longtemps, et passe du temps à décrire la danse des bateaux sur la mer de Bretagne quand ils ont décidé d’aller disperser les cendres dans un dernier hommage. Sa voix est basse, douce, et nous l’écoutons religieusement, que faire d’autre quand quelqu’un se livre aussi vite ? Assises au bord du lit nous restons silencieuses une bonne dizaine de minutes, à apporter à ce loubard sorti d’un Pialat je ne sais quoi, un soutien muet, des regards compatissants, six oreilles attentives.
J’imagine et connais sa peine toute neuve, son trou dans la poitrine qu’il a décidé de combler avec du LSD et une belle chemise repassée. J’ai envie de le prendre dans mes bras et lui dire que ça passera un peu, lentement mais ça passera, mais je ne touche personne, je ne sais pas quoi faire de l’intimité, encore moins si elle se crée avec un gars qui m’était inconnu et louche voilà 10 minutes.
La porte s’ouvre et un ami à lui apparaît, très grand, assez beau, malgré une tenue lui donnant de faux airs de José d’Hélène et les Garçons. Lui aussi pas vraiment dans son état normal, il s’allonge sur les manteaux et notre maquereau du Nouvel An pose lentement sa tête sur son estomac. Ils forment un duo incongru et sont allongés pour regarder les étoiles du plafond qui n’existent pas sauf quand on est sous drogue. On repart sur les blagues, le coeur tout mou doucement se referme, comme si le moment précédent n’avait jamais existé, irradiant, intouchable, à distance égale de la douceur et de la douleur. C’est une parenthèse qu’on n’ouvrira jamais plus avec un garçon qu’on n’a fait que croiser. C’était beau, pourtant. Beau et touchant.
Deux paires de lunettes noires et fines s’engouffrent derrière la porte, prêtes à me remonter les bretelles.
"On te cherche partout, tu fais quoi, t’étais où ? On t’a appelé et tu répondais pas, c’est qui ces mecs, tu les connais, ils sont chelous non, il y en a un qui te plait ?’”
Ma garde rapprochée apparaît, complètement torchée. Je les aime fort mais il est temps de rentrer chez moi. J’enfile mes vans et ma fausse fourrure trouvée dans une poubelle, j’embrasse J., M., C., Y et E., prend Annie Dingo dans mes bras pour la remercier de cette excellente soirée, regarde de loin ce type qui ne semble même plus me reconnaitre et file prendre un Bolt sans donner mon numéro à l’éphèbe sapé comme José. Il y a des moments qui ne sont pas fait pour durer.
Et puis je suis timide.
Je n’ai pas (J)osé.