Il fait beau métro Alexandre Dumas. Un vrai soleil et un ciel dégagé, 17° en février, on va tous crever mais pas aujourd’hui, pas maintenant, surement bientôt. Dans pas trop longtemps.
Je traverse le vingtième arrondissement en écoutant Damso, que je ponce non-stop depuis deux jours. Q. au boulot m’a conseillé God Bless, et du coup je fais la gueule dans la rue en marchant vite avec ça à blinde dans les oreilles. Je joue l’ultimate pétasse en bousculant avec les épaules les touristes qui glandent un peu trop longtemps sur les trottoirs. Pas de pardon. Je traverse quand le petit bonhomme est rouge. YOLO. Je mime en bougeant les lèvres chaque couplet de rappeur en croyant que je suis sur la scène des Flammes dans une tenue abusée. J’ai oublié mes lunettes de soleil mais je me la pète comme jamais.
Dans ma démarche je veux envoyer le signal que je suis badass mais en vrai ça doit donner l’impression d’une dame avec un comportement de sale gosse qui va redoubler sa cinquième. La rebelle des bacs à sable dont les parents vont couper le forfait téléphone si elle continue SUR CETTE PENTE, JE NE LE RÉPÈTERAI PAS DEUX FOIS MARIE-CLOTILDE, ET NE CLAQUE PAS CETTE PORTE OU ÇA VA TRÈS MAL SE PASSER POUR TOI ET TON STAGE D’ÉQUITATION.
En plus dans mon corps tout est éclaté, j’ai mal au ventre et j’ai envie de crever, mes hormones font leur pot de départ et me foutent le moral dans une zone sinistrée qui aurait en plus un préfet de droite.
Aujourd’hui pourtant, personne peut me faire chier. Je suis intouchable comme un cadre de l’UMP. Je le vois dans le reflet des vitrines quand je passe en mode furtif. J’ai la confiance d’un type qui a fait une école de commerce et un bateau à voile dans le port de La Baule. F., ma hairstylist préférée, a bien taffé. Mes cheveux sont fuschias. Trois heures ce matin passées sur les genoux (titre) pour ressortir avec un carré impeccable qui fracture les yeux. Prend ça Paris pourri, j’ai pleuré hier mais je ne pleurerai pas aujourd’hui, c’est moi l’héroïne de ma vie.
Deux décennies à faire de la merde avec mes cheveux, à les teindre en noir bleu, en platine, les couper trop court, les avoir trop long, coupé une frange, avoir un truc qui ressemble pas à une frange, les bouts rouges, et puis les deux dernières années, celles après Madmoizelle, plus rien. Je voulais assumer le poivre et sel comme si le fun était terminé, comme si c’était une preuve de sagesse, comme si j’étais Sophie Fontanel avec un appartement Rue Saint Honoré et puis en plus j’en avais plus rien à foutre, j’aurais eu une moustache je l’aurais laissé pousser pareil.
Mais ras le bol.
Ce n’est pas moi. J’ai jamais fait ça. Je suis pas cette meuf. Je veux pas mettre du Sézane et des espadrilles sur l’ile de Ré. Je ne porterai pas de beige et de chemisier. J’aurais pas d’appartement qui donne sur le square Gardette avec du blanc et du bois clair. Je ne me taperai pas un directeur de projets. Moi, je vis dans un endroit qui donne sur le cimetière soit rien avec des meubles que j’ai trouvé dans les poubelles. Je vais continuer à mal chanter du Damso avec des pantalons sur lesquels il y a des petits soleil qui tirent la langue et je bougerai mon boule dans la rue en attendant que toutes les voitures soient passées (oui je traverse quand les petits bonhommes sont rouges mais faut pas non plus déconner).
Ce changement, j’en avais besoin. J’ai atteint un point de non retour les petits potes. Une colère, mais une colère ! Tu l’as lu la semaine dernière. La vie perso la vie pro, plus rien à sauver, tout à foutre à la poubelle en attendant le mois de juillet.
Alors au lieu de passer mon quotidien à la sulfateuse en hurlant des trucs en japonais, j’ai tout coloré. En rose. Comme ma salle de bains, comme mes sapes, comme mes draps.
La vie en rose si je veux, quand je veux, avec qui je veux.
Et pendant que je bosse dans mon plumard dimanche, sur cette newsletter et sur un autre projet qui va bientôt voir le jour, en même temps que je parle à des types que j’ai pas prévu de voir tant qu’ils ne me font pas rigoler, je me dis. Le pouvoir des cheveux quand même. De milliers de poils sur ton crâne. Le pouvoir de se tenir droite, de faire ce qu’on veut et de tout envoyer chier. Le pouvoir de se préparer à cette semaine comme si je partais en guerre, dernière ligne droite d’un hiver à passer recluse avec un ordinateur comme seul compagnon. Le pouvoir de prendre des décisions et d’apprendre à dire non. Ou oui. Ça ferait pas de mal. Ça change aussi.
Ma soeur me dit “c’est une newsletter sur le fait que tu te sois coloré les cheveux quoi”
Bah, oui.
Tout ça pour dire, dans un avant de vous souhaiter une belle semaine,
Faites de la merde avec vos cheveux.
Faites de la merde avec la vie.
Faites de la merde.
Faudra juste se préparer à ramasser. Je le ferais.
C’est ok.
God bless.
God fucking bless