Bon anniversaire.
Samedi 23h44, je me suis vite dirigée vers les toilettes avant que les gens ne quittent la salle de concerts.
Un type me passe devant, ça m’énerve, oui d’accord l’urinoir est disponible et j’ai oublié mon pisse debout, mais quand même, cette suprématie de la bite, même quand il s’agit de faire la queue (sans mauvais jeu de mots) dans un bar, ça me gonfle. Moi, comme toutes les autres personnes avec un appareil urinaire implanté dans le bassin, je suis coincée dans la file depuis 20 minutes devant le seul toilette qui ferme. La meuf devant moi m’a en plus confié son manteau en me regardant avec ses yeux tristes, comme si j’avais la gueule d’un cintre. Je lui ai tenu parce que je suis sympa, mais la prochaine qui me demande, je préviens, je ferais les poches de sa veste vintage payée 80 balles chez les fripiers qui pullulent du côté du métro Art et Métiers.
Bah quoi ? Tu la paies, la meuf du vestiaire, non ? Ou tu lui fais aussi les yeux tristes ?
Je sais pas combien de fois j’ai pissé dans les toilettes du Point Éphémère, et sans me vanter, je crois que je les ai toutes faites. Voilà, je sais pas si ça vous fait quelque chose de lire la newsletter de quelqu’un qui a testé toutes les chiottes du Point F comme on l’appelle, mais c’est un fait. Celle du personnel, celle des artistes résidents, celle pour les personnes à mobilité réduite…Sans exceptions. Toutes. Les. Chiottes.
Et pourquoi j’ai fait ça ? Parce que j’ai passé ma vie dans cet endroit. Je connaissais des gens qui y travaillaient, j’y ai organisé des fêtes, des karaokés, je me suis embrouillée, et mes amies d’avant y avaient même un atelier.
C’est pour leurs 20 ans que j’étais dehors un samedi soir, alors que j’avais passé ma journée à ranger mon appartement qui n’en finit pas de se remplir de saloperies. Y. avait eu l’idée de se pointer là bas, ça faisait longtemps, et L. avait rajouté une couche pour que je vienne.
J’aime bien me faire désirer.
Me voilà donc à 20 heures en bord de Canal avec une pinte de Grolsch au milieu de types à moustaches avec des casquettes de connard alors qu’il fait - 2. METTEZ UN BONNET BORDEL LES MECS, MAC DEMARCO VOUS EN VOUDRA PAS HEIN, IL VOUS CONNAIT PAS ET IL SAURAIT MÊME PAS FAIRE LA DIFFÉRENCE VOUS ÊTES TOUS HABILLÉS PAREILS.
L’endroit est blindé, on y est depuis trois heures et je serais bien restée dans la bar à bitcher sur le public (ou a me demander comment je pourrais demander le numéro du type avec la veste de jogging et la seule boucle d’oreilles que je vois au loin) mais Y. et L. insistent, ils sont allés voir Bryan’s Magic Tears à la Mécanique Ondulatoire quelques temps avant et ça vaut vraiment le coup de voir ce groupe. Oui, même si on est serrés. Oui, même si j’ai envie de pisser. Oui ok, on y va de toute façon et je fais pas chier.
Allez, c’est parti, de toute façon je vais pas rentrer tôt pour mater la finale de la Star Academy.
Le concert commence deux minutes en avance. Déjà j’adore ça, merci les petits potes. Et puis pendant que je me prends les reverbs des trois guitares sur scène, et cette gerbe pailletée de shoegaze qui perso, me remplit le coeur depuis 2013, je me revois au même endroit, à plein de moments de ma vie.
Quand je suis allée voir Jay Reatard et que son concert a duré 13 minutes avant qu’il pourrisse sa section rythmique, quand j’ai vu Volt et que je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne la basse, Shannon and the Clams, Wavves, Frustration, Rendez Vous, Weyes Blood, Safia Bahmed-Schwartz et puis tous les autres.
Je me suis rappelée que j’avais chiné un type en pantacourt, que j’y ai mixé et qu’on avait vu ma culotte tellement de fois parce que je ne sais pas me tenir surtout quand on me file un open bar (je ne compte pas les matins où je me suis réveillée terrorisée en me demandant combien de gens avaient assisté à ça, si ça a été ton cas, désolée, et en effet je porte souvent des modèles unis taille haute de chez Monki), que j’avais chanté, joué, même chialé, souvent debout, souvent les bras croisés, parce que je ne danse pas pendant les concerts, c’est pour les faibles et mijaurées. J’ai marié des gens ici, et j’ai dit au revoir à mon gros projet Retard, j’ai fêté des nouvelles années et me suis retrouvée dans des mauvais bails.
Et là, pendant qu’un type à polaire Patagonia à côté de nous comparait Bryan’s Magic Tears à PLACEBO (hey les gars qui savent pas parler de musique, c’est ok, mais au moins faites pas semblant) je me suis prise les années dans la gueule, et ça m’a rendu triste. Non c’est pas vrai, pas triste, nostalgique de toutes ces premières fois qui ne reviendront pas, de mon coeur tout mou qui ne bat plus comme avant et qui est allé chercher dans cette salle depuis 2005 la chaleur, le réconfort, ou la conclusion de tous les trucs qui peuvent foirer dans la vie, les histoires d’amour, les histoires d’amitié, les projets dans lesquels je croyais.
Peut-être que c’est la somme de tout ça que je sentais dans ma gorge pendant que je tenais la veste de la fille qui faisait pipi. Et de me dire que c’est plus mon tour de vivre tout ça, en tout cas pas comme avant, c’est le tour des petites meufs à la frange courte et à la seule mèche colorée qui sont derrière moi dans la file, avec une veste vintage payée un prix indécent à un ancien étudiant de mode qui pense faire de la curation avec 3 vieux t-shirts Waikiki vendus 30 balles.
Ptet que j’aurais du plus pogoter.
Ptet que j’aurais du tenir plus de mains moites dans l’obscurité.
Ptet que c’est pas trop tard.
Ptet que je devrais aller me coucher.
Chacun son temps. Et c’est okay. Mais ça rend un peu aigrie, en vrai.
Je crois que je vais rentrer.
Au fait, la Star Academy, c’est qui qui a gagné ?