1,2,3,4, let me hear you scream if you want some more.
Lundi il est 18 heures, je ne sais pas si je suis en avance ou à la bourre.
Retenue par une énième urgence au boulot, j’arrive un peu essoufflée à la salle. Un peu essoufflée et un peu soulée, parce que bon, ça fait chier, j’en suis à un âge où il faut aller à “la salle” : je ne veux pas finir toute flagada sans muscles et j’ai décidé de me méfier, comme des gueules de bois et des ex relous. Je dois dorénavant faire un effort pour rester la même personne et ça s’accompagne d’un abonnement d’un an renouvelable un peu cher avec serviette comprise. Je ne vais pas me plaindre.
Je m’en sors pas mal en vrai.
Le sport, ça ne peut aussi qu’aider mon moral : le conseil que vous m’avez presque tous et toutes donné en réponse au précédent numéro de Concombre était d’aller se '“dépenser”. Comme vous ne vouliez malheureusement pas dire “ton salaire Marine” (et c’est bien dommage), j’en ai conclu qu’une façon d’évacuer toute mon acidité pouvait être par la transpiration. C’est d’ailleurs le seul remède contre la dépression et la colère que Papa Normand (et toute personne de plus de 50 ans) connait : après tout, pourquoi aller chez le psy quand tu peux faire le tour de ton quartier en ronchonnant en vélo ?
(Parce que. Vraiment les darons et les daronnes, allez chez le psy. C’est fatiguant pour tout le monde et on y va pour vous du coup.)
Je me suis donc inscrite à “la salle” (vous avez remarqué qu’on dit toujours “la salle” comme si tout le monde savait de quelle salle on parle, avec son petit déterminant défini et tout ? Ça me rend ouf.) près de chez moi. Elle ne paie pas de mine, il y a des personnes âgées sympas qui tiennent le crachoir à de jeunes éphèbes souriants en pilote automatique, une odeur de transpiration aussi fraiche que latente et des gens sur une inclinaison de tapis à 14 qui regardent Faustine Bollaert toucher l’épaule de gens qui chialent.
Cela pourrait me décourager mais j’y vais, m’étant aperçue après plusieurs échecs que l’un des freins pour aller à “la salle” n’était finalement pour moi que celui de la distance. Si c’est à plus de 10 minutes de chez moi, je ne me déplace pas. Malin. Cette fois-ci je me suis auto-bernée. Celle-ci est située tellement à côté que je n’ai pas le temps de changer d’avis en cours de route pour aller boire des IPA et publier des dizaines de stories instagram pour faire la promo de cette newsletter (encore désolée, l’euphorie des débuts).
Pourquoi je changerais d’avis de toute façon.
Je pourrais décevoir A.
Et ça les petits potes, ça n’arrivera pas.
Quand je suis rentrée la première fois à “la salle”, c’est lui qui a pris mon inscription. Pas très grand, des yeux noirs profonds, un sourire contagieux, il a aussi une petite boucle d’oreille qui fonctionne pas mal sur les meufs de ma génération qui ont connu leurs premiers émois sur Joaquin Phoenix dans Prête à tout.
J’avais d’ailleurs lu sur les réseaux cette excellente remarque que l’unique boucle d’oreille fonctionnait sur les types comme une cheminée dans un appartement vétuste parisien. Ça donne du cachet, on se fait berner et on prend l’affaire les yeux fermés.
Mais comme dirait Drake il y a plus de 10 ans, YOLO, vivons dangereusement.
A. possède une beauté assez franche, pas un truc chiant sur lesquelles les meufs beige qui font des tiktok ne font que baver. Et puis il a l’air heureux. Genre, franchement content, super honnête, vraiment un coeur pur. Il pourrait être l’un des mannequins Jacquemus qui défilaient voilà quelques années dans les champs de lavande à Valensole, ou encore un des figurants dans la scène magnifique du clip Territory de The Blaze où cette icône de Dali Benssalah danse clope au bec et veste ouverte sur les toits d’Alger.
A, c’est un type qui est fait pour se balader torse nu le t-shirt bloqué à une anse de boucle de ceinture, avoir une femme radieuse dont il est fou amoureux qu’il a rencontré au lycée et deux gamins qui rient tout le temps. Il fait des barbecues et pleure vraiment quand il est ému, il sculpte du bois avec un opinel quand il s’emmerde et sent le Vetiver avec une touche de musc. Une personne tellement honnête et belle qu’on sait même pas d’où elle vient en 2023. Ça fait un anachronisme avec l’époque et ça pète tous les crânes, le mien compris.
Attention, aucun débordement sentimental dans ce que je viens de vous raconter : j’ai déjà assez de casseroles amoureuses pour me rajouter celle de la trentenaire qui fantasme sur le mec de “la salle”. Je préfère envoyer des DM à Pedro Pascal. C’est juste qu’il y a quelque chose d’assez troublant de se retrouver face à quelqu’un qui a l’air profondément content, droit dans ses bottes, et où toute cette insouciance et cette confiance en la vie se répercutent physiquement pour lui donner une beauté simple et pourtant bouleversante.
Dans un excès de relâchement qui ne me ressemble pas (vous lisez la newsletter d’une meuf qui a encore du mal à filer le double de ses clés à sa propre soeur), je lui ai donc balancé mon RIB, mon adresse, mon nom, et pourquoi j’étais là. Après tout, il allait me voir régulièrement le cheveu hirsute avec une mèche collée sur le front, rouge comme Mélenchon quand on a perquisitionné chez lui. Il fallait jouer carte sur table : je me suis faite la promesse intérieure de n’avoir aucun secret pour cet homme.
Et il a tout noté, méticuleusement, comme si j’étais un projet important. Mes envies, mes rêves. Ce qu’il allait faire pour m’aider.
Ça m’a touché, c’est con hein. Mais ça m’a vraiment fait un truc.
Une fois que tout a été rempli, je me suis apprêtée à partir en me demandant si je n’avais pas signé un chèque en bois (fin du mois oblige) quand A. a prononcé mon nom. Je me suis retournée de manière super cinématographique : avec la climatisation se trouvant juste au dessus de ma tête, je me plais à croire que mes cheveux, pour une fois propres, volaient au vent, un peu comme la pub Loulou de Cacharel en 1989. Bon ça donnait surement pas la même chose, mais c’est moi qui écrit cette newsletter alors faut me croire sur parole.
“Marine, je compte sur vous, vous serez bien là lundi ?”
La première réponse de mon cerveau aigri était “évidemment mon petit bonhomme. Je viens de raquer 150 boules pour une inscription et un abonnement, autant te dire que je vais me moucher dans toutes les serviettes disponibles et faire tomber de la transpi de trentenaire sur chaque rameur de ta salle.”
Mais pour une raison que je ne saurais expliquer, ce regard franc et dans l’attente d’une réponse positive m’a surpris. Je me suis mise à bredouiller avec ma voix aiguë de meuf gênée, mes deux yeux bleus ronds comme des oranges,
“Heu. Oui. Bien sur” Et puis j’ai arrêté d’avancer. J’étais la 406 blindée de mon père sur le périphérique direction Porte de la Chapelle en 2006.
Il y a eu un silence. Il a souri.
“A lundi alors Marine”.
FAUT PAS DIRE MON PRÉNOM COMME ÇA. Ça me met un petit coup derrière les genoux direct. Je suis ressortie le regard bas, le pas rapide un peu sonnée, à me répéter intérieurement “bordel, je vais vraiment aller souvent à la salle pour ne pas décevoir un type d’une vingtaine d’années avec une boucle d’oreille ?”
Et la réponse est oui.
C’est absolument ce que je fais.
Trois fois par semaine, j’enfile donc des leggings, je prends une gourde (comme ça on y va à deux, haha) et je pars évacuer mon aigreur par tous les pores de ma peau. Les abdos gainés et les épaules solides, je deviens Princess Superstar dans le clip de Perfection, les boobs à l’air en moins que je réserve évidemment pour les grandes occasions.
Ou pire, je m’y rends motivée comme la prof du clip d’Eric Prydz (olala cette orthographe de nom qui me fait saigner des yeux).
(Dans ma tête je me souvenais pas que ce truc était aussi glauque, franchement je mets le clip parce que j’en parle mais j’ai honte, cliquez pas c’est embarrassant)
Pour le moment je suis pas au bout de ma quête de la douceur. Je rumine toujours pas mal des saloperies sur les gens qui font que du cardio et pas de la musculation (et que ça sert à rien de faire du cardio sans muscu, c’est A. qui me l’a dit et A. je le crois sur parole.) J’ai envie de débrancher les vélos elliptiques des quadras en brassière qui restent trop longtemps dessus (C’EST BON FAUSTINE BOLLAERT ELLE L’A CONSOLÉ TU PEUX ALLER FAIRE UN AUTRE EXERCICE) et je suis prête à demander de se dépêcher aux meufs de 20 ans qui poussent pas de la fonte mais matent assises bien pépax sur la presse à cuisses le feed de leur compte instagram.
YA DES GENS QUI AIMERAIENT BOSSER ICI
Mais petit à petit, une goutte après une goutte, l’oiseau fait son nid. Peut-être qu’un jour moi aussi à force de casser des noisettes avec un nouveau derrière super ferme, j’aurais le coeur pur et ma place dans un clip de The Blaze. Mais comptez pas sur moi pour défiler pour Jacquemus : si c’est pour le faire avec Kendall Jenner, c’est mort, elle est nulle et j’aime pas du tout la dernière collection.
Ouais ok.
Le chemin vers la douceur va être encore un peu long.